LA FAYETTE (MADAME DE)

LA FAYETTE (MADAME DE)
LA FAYETTE (MADAME DE)

«Mme de La Fayette a eu raison pendant sa vie. Elle a eu raison après sa mort.» Mme de Sévigné croyait-elle si bien dire et comme prophétiser. Depuis trois siècles, en effet, ce nom a fait éclore un mythe. Qu’importe qu’elle soit auteur plus qu’écrivain si sa postérité littéraire en est encore à s’enrichir de cette sorte de cascade qui (hommage, influence, tentative concertée), en ordre ou dans le désordre, en passant par Constant, Stendhal ou Gobineau, Fromentin ou Radiguet, a nourri l’art du roman.

Est-ce une langueur mélancolique qui la fit surnommer «le brouillard» par les familiers de l’hôtel de Nevers, tandis que d’aucuns vantaient sa «divine raison»? Nul doute qu’elle ait eu son mystère, cette grande dame française, un peu fragile, qui se disant «baignée de paresse» n’en menait pas moins ses affaires avec ardeur, qui, prude, dévote, jeune et non veuve, laissa La Rochefoucauld ne la presque pas quitter, qui, ne détestant pas l’intrigue, ne s’aliéna nulle amitié, et, sensible aux succès mondains, empêcha, néanmoins, qu’aucune de ses œuvres fût publiée sous son nom.

L’intelligence du succès

L’époque était de celles où une fortune trop petite, une érudition trop grande et une noblesse médiocre gênaient l’établissement d’une fille. Or, tout homme de goût qu’il fût, son père, Marc Pioche de La Vergne, n’était que simple écuyer. Sans doute Marie-Madeleine, qui naquit à Paris, eût-elle passé son existence parmi nombre d’honnêtes gens plus cultivés que courtisans, si sa mère, Isabelle Pena, n’eût été assez habile pour la pousser dans le monde. Elle lui donne pour parrain Urbain de Maillé, marquis, maréchal de France et beau-frère de Richelieu; pour marraine, Marie-Madeleine de Vignerol du Plessis, nièce du même Richelieu et future duchesse d’Aiguillon. Retz, le coadjuteur, fréquente la maison, ainsi que Renaud de Sévigné (oncle de la marquise) qu’Isabelle Pena épousera en secondes noces. Les activités frondeuses de ce beau-père turbulent, et qui lui vaudront peut-être son goût pour la politique, n’empêcheront pas Marie-Madeleine d’être, en 1651, demoiselle d’honneur de la reine, et, en 1654, de se lier avec Henriette d’Angleterre, dont elle écrira une vie, et qui séjourne en le couvent de Chaillot. En 1655, elle épousera le frère de la supérieure de ce couvent, Jean François de La Fayette, de vingt ans son aîné; mais un nom, et certaine fortune.

De «cette chose incommode» que lui paraît être l’amour, elle ne souffrira guère. Laissant en ses terres d’Auvergne un mari fort peu gênant, Mme de La Fayette ne quittera plus Paris jusqu’à sa mort. Le mariage d’Henriette d’Angleterre avec Monsieur, duc d’Orléans, lui ouvrira les portes de la Cour. Son sens pratique et son esprit feront le reste: elle saura mener la carrière de ses fils et devenir «une personne considérable».

Un thème: l’envers de l’amour

Admise à la Cour, témoin de ses plus belles intrigues, est-ce son adresse à doter d’une investiture d’histoire un fait divers qui valut à Mme de La Fayette l’admiration de ses contemporains? Mais le roman plus ou moins historique préexistait! Est-ce l’audace de composer un roman avec ce qui passait pour un sujet de nouvelle? Est-ce son goût pour l’analyse? Mais une certaine analyse n’était absente ni de L’Astrée ni des récits sans fin de Mlle de Scudéry! Est-ce son obsession des ravages de l’amour?

Disposition personnelle ou influence des jansénistes, les errements de la passion lui furent son sujet d’étude: l’amour «monstre de la nature, peste du genre humain, perturbateur du repos public». La Comtesse de Tende (posthume, 1724), c’est la dureté de l’amour. Le Triomphe de l’indifférence , ce sont ses «mortelles douceurs» et ses «longues amertumes». La Princesse de Montpensier (1662), c’est, peinte de façon exemplaire, l’incommodité d’un penchant, Zaïde (1669), roman à la mode espagnole, c’est l’effrayante vision de la jalousie (on songe à l’Albertine de Proust). Enfin, la boucle est bouclée avec la Princesse de Clèves (1678) : d’un engagement éternel naît la perte de l’amour. Tel engagement, qui le tiendrait? Il est pourtant indispensable à l’existence d’un amour... À partir de cette gageure l’analyse va se tisser.

De l’analyse qui, chez les précieux n’était qu’ornement, prétexte à propos mondains et obstacle à l’action, Mme de La Fayette fait le support unique de l’intrigue dans La Princesse de Clèves . Le regard sur le vécu et le point sans cesse fait s’inscrivent dans la ligne d’action. L’analyse devient substance d’un récit tout du long courbé vers l’avant. Durée, ressort, mouvement intérieur, elle va les prendre en charge. C’est la première solution apportée au délicat problème du temps romanesque. En ce temps fait champ clos, en cette lice des tourments du cœur que l’esprit jamais ne déserte, en cette qualité, en définitive, d’investigation psychologique, réside la véritable originalité de Mme de La Fayette.

Le style et le ton

Que Boileau l’ait tenue pour la femme de France qui écrivait le mieux ne nous fera pas pour autant trouver sa phrase parfaite. Mais est-ce la perfection d’un langage qui tisse certain ton? Outre un faste baroque perdu, certains déploreront des impropriétés, des redites, un abus du relatif, un vocabulaire pauvre. Mais l’habileté des faiseurs, qu’at-elle à voir avec le génie? Un pointage de gaucheries n’empêche pas que nous enchantent un climat quasi unique, tout de rigueur et de mesure, et même une distance prise, et jusqu’à la monotonie créée par un refus du trait individuel, fondé qu’est cet art classique sur une croyance en l’identité de l’homme.

Si Mme de La Fayette «n’a pas gagé d’être parfaite», elle n’en demeure pas moins l’auteur du premier en date des romans modernes, et ce roman en est toujours à compter parmi les plus grands.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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